Un outil de formulation alimentaire pour les porcins
1. Introduction
Le coût de l’aliment en élevage biologique de porc représente en effet plus de 70% du coût de revient de la production totale. Sa maîtrise constitue un élément clé de durabilité d’un élevage, car elle touche à la rentabilité, au bien-être, à la santé, tout en préservant au mieux l’environnement.
Face à la flambée du coût des aliments, certains éleveurs optent pour la fabrication d'aliments à la ferme (FAF). Bien très avantageuse (), cette option demande une connaissance fine des besoins nutritionnelles des animaux élevés et de la qualité des rations fournies. Des outils existent dont l'objectif est d'aider l'éleveur dans la formulation des rations à fournir, sur base de la qualité des matières premières utilisées.
2. Besoins alimentaires des porcins
L’objectif de l’alimentation porcine biologique est d’élever des animaux aux conditions corporelles idéales et d’atteindre les performances de production fixées. Pour y parvenir, l’aliment doit couvrir au mieux aux besoins nutritionnels des animaux.
C’est en combinant quantité et qualité des aliments que l’éleveur parvient à rencontrer les besoins alimentaires de ses porcs.
2.1. Les quantités à prévoir
La quantité d’aliments distribuée, mais plus encore, la quantité d’aliments ingérée est essentielle. Classiquement, en production porcine, les aliments sont distribués :
à volonté pour les porcelets et porcs à l’engraissement. Il faut veiller au réglage des distributeurs pour éviter le gaspillage ;
quasi à volonté pour les truies allaitantes. Il faut assurer un schéma optimum de distribution fonction notamment de la taille de la portée ;
de manière rationnée pour les truies gestantes. Il faut également suivre un schéma optimum de distribution fonction de l’état d’embonpoint des truies et du fourrage grossier mis à disposition.
Les porcins ont des besoins très précis en termes de qualité alimentaire. Ces besoins évoluent avec l’âge du porc et son état physiologique. Ces besoins sont exprimés en énergie, matières azotées totales, acides aminés essentiels et minéraux.
2.2. La qualité nutritionnelle de l'aliment
2.2.1. Les besoins en énergie
Les besoins en énergie des porcs augmentent avec l’âge. Le besoin énergétique du porc en croissance correspond à la somme du besoin pour l'entretien et la croissance, en condition de confort thermique et au repos. Il est directement proportionnel au poids vif.
2.2.2. Les besoins en protéines
Les besoins en protéines sont d’autant plus à considérer que les porcs sont jeunes. Ils sont directement proportionnels aux besoins en acides aminés essentiels (la lysine, la méthionine, la thréonine et le tryptophane sont les acides aminés limitants). Il est donc judicieux de calibrer la qualité de la ration par rapport aux acides aminés essentiels, plutôt que par rapport au pourcentage en protéines brutes.
2.2.3. Les besoins en minéraux, vitamines et oligo-éléments
Les matières premières courantes, céréales en particulier, n’apportent pratiquement pas de calcium, et l’apport de sel est indispensable comme facteur d’appétit en particulier. Un taux d’incorporation de 3 à 4 % d’un complément minéral s’avère indispensable pour apporter calcium, sel, oligo-éléments, vitamines, et éventuellement phosphore.
3. Les matières premières consommées
Le porc est un omnivore, il peut consommer des aliments très divers. Il valorise bien les farines de graines et en particulier de céréales, mais aussi les protéagineux tels les pois, le soja. Il peut également manger de l’herbe, bien qu’il valorise peu la cellulose et pas l'azote non protéique des fourrages. Ceux-ci peuvent représenter une part limitée de la ration, de 1/4 à 1/3 au maximum pour des animaux adultes âgés (truies).
3.1. Céréales, oléagineux, protéagineux
Chez les porcs, les céréales constituent la principale source d’énergie du régime, mais du fait de leur faible teneur en protéines, elles doivent être complétées par des protéagineux.
Les protéagineux (pois, féverole, lupin) sont des matières premières dites mixtes qui apportent à la fois de l’énergie et des protéines. Les graines d’oléagineux (colza, tournesol) apportent des protéines, mais l’huile présente dans les graines en fait principalement des sources d’énergie.
3.2. Les autres matières premières
3.2.1. Co-produits de la production et de la transformation d’aliments biologiques
Les co-produits sont issus issus de la transformation des matières premières par l’industrie agro-alimentaire. Selon leurs natures et leurs qualités intrinsèques, ces productions ‘induites’ peuvent trouver valorisation dans l’alimentation des animaux. Ils deviennent dès lors ‘co-produits’ et acquièrent le statut de matières premières.
Parmi ceux-ci, on peut citer les co-produits de légume, de pomme de terre, de la bière, graines pressées pour leurs huiles.
3.2.2. Les matières premières d’origine animale
Le lactosérum, aussi appelé petit lait, est un co-produit issu de la fabrication du fromage. C’est une matière première qui peut être fortement intéressante pour les éleveurs possédant également des vaches laitières et transformant une partie de (ou toute) leur production en fromage. On peut engraisser un cochon avec 300 à 350 kg de céréales (fournissant l’énergie) et 2000 litres de lactosérum (limite de12 l/j pour éviter les diarrhées). Ce qui donne, en production biologique avec un rendement de 6t/ha, de quoi engraisser une vingtaine de porcs par hectare de céréale. Au niveau du lien avec la production laitière, une vache permettrait d’engraisser deux porcs sur une année.
Les insectes : Il y a plusieurs éléments clés qui font de l’élevage d’insectes une alternative avantageuse à la production agricole de protéines : elle nécessite 50 à 90% en moins de terre que l’agriculture conventionnelle, par kilo de protéine produite, et pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie de l’élevage de 50% d’ici 2050. L’élevage d’insectes apporte également une solution à la production de co-produits agricoles, les larves de mouche pouvant réduire de 60% en 10 jours le poids de déchets organiques.
Les teneurs en protéine brute, entre 42 et 63%, sont du même ordre de grandeur que le tourteau de soja. Par extraction des lipides, on peut s’attendre à des teneurs supérieures. Les teneurs en méthionine et lysine sont aussi élevées que pour le tourteau de soja.
Le projet de recherche Astippor est en cours (2023-2025), mené par Gembloux AgroBioTech et le CRA-W. Il vise l’étude et le développement de la production circulaire d’insectes pour une incorporation dans les aliments pour les porcelets en agriculture biologique
3.2.3. Les matières premières d’origine végétale
L’ortie (Urtica dioica L.) appartient à la famille des Urticaceae, plantes pérennes que l’on retrouve largement dispersées dans le monde. L’ortie est un aliment nutritif (riche en AA), riche en minéraux (en particulier le fer), vitamine C et provitamine A. Les niveaux en minéraux et vitamines sont cependant trop élevés que pour en faire un aliment. L’ortie est plus adaptée à la complémentation protéique (Sillon belge, 2013)
Ses composants actifs tels que l’acide formique, acide salicylique, les tanins, le carvacrol, le thymol et les glycosides flavonoïques (aux propriétés immunitaires, anti-carcinogènes, anti-inflammatoires, anti-oxydantes et anti-allergéniques) en font une candidate intéressante en médecine vétérinaire.
La luzerne peut être présentée sous forme d’ensilage ou de concentrés protéiques. Les concentrés protéiques sont obtenus à partir du jus de pressage de la matière première fraîche, chauffé et centrifugé. Le culot obtenu par décantation (riche en protéines) est séché et granulé.
Les fourrages grossiers peuvent constituer un complément alimentaire d’intérêt. En effet ils sont source d’énergie et de protéine à un faible coût. Leur contribution aux besoins alimentaires des porcs dépend toutefois de leur composition, de leur digestibilité et de la capacité des porcs à en tirer profit. L’apport de fourrages grossiers contribue également au bien-être des porcins. Ainsi les truies, lors de la phase de gestation, sont en situation de restriction alimentaire afin de favoriser les performances de reproduction. L’apport de fourrages permet de contribuer à leur satiété alimentaire par son apport en fibres. L’effet des fibres sur la sensation de satiété est notamment attribuable aux plus grandes quantités consommées, à l’augmentation du temps consacré à l’ingestion et à un ralentissement de la vidange gastrique
4. Les limites d’incorporation des aliments
Des facteurs tels que la digestibilité et la disponibilité des acides aminés, la teneur en énergie métabolisable, les fibres, la teneur en matières grasses et la quantité de facteurs antinutritionnels (FAN) influencent le taux d’inclusion maximal de beaucoup de sources protéiques produites à la ferme. Ces limites sont fixées en vue d’éviter des dépôts de graisse trop importants, des défauts d’odeur limitant l’ingestion, des dérèglements métaboliques plus ou moins importants…
4.1. Les limites d'incorporation de différents types de matières premières
Les légumineuses sont sujettes à différentes limites d’inclusion, en fonction de l’âge des porcins auxquels elles sont proposées.
Dans le cas de la féverole et du pois à fleurs colorées, des tanins sont présents dans les pellicules des graines. Les limites d’incorporation sont de 15% chez les porcelets et les truies et de 25% chez les porcs à l’engraissement même si des essais récents portent les limites à 20% pour les aliments porcelets 2ème âge et 35% chez les porcs à l’engraissement quelle que soit la couleur des fleurs.
Alors que les pois actuellement cultivés sont tous issus de variétés à fleurs blanches, la grande majorité des graines de féverole sont issues de graines à fleurs colorées. Le pois protéagineux ne pose plus de problèmes du point de vue des inhibiteurs de trypsine. Il ne présente pas de limite d’incorporation dans les aliments pour porcs. Par contre, il faut être vigilant avec le pois fourrager issu de plants à fleurs colorées. Concernant le lupin, des études menées en France préconisent des taux maximums de 10 % de lupin blanc ou bleu en 2ème âge.
Un projet de valorisation du lupin dans les filières animales menée au CRA-W conclut que bien que la qualité de la protéine du lupin soit également similaire à celle du tourteau de soja pour le porc en croissance-engraissement, certains constituants agissant en tant que facteurs antinutritionnels, comme les α-galactosides, peuvent limiter l’efficacité alimentaire. Ces molécules semblent essentiellement néfastes chez les porcs de moins de 50 kg.
Les FAN peuvent être détruits par la chaleur. Ainsi, une fois traitées, les matières premières contenant des FAN peuvent être incorporées à un taux plus élevé.
D’autres limites d’incorporation interviennent également dans le cas des légumineuses, telles que le prix des différentes matières premières et leur disponibilité sur le marché. Des contraintes spécifiques peuvent également intervenir, par exemple celles relatives aux rejets d’azote ou de phosphore.
Dans le cas des céréales, c’est la richesse en énergie qui conditionne le taux d’incorporation. Ainsi, dans le cas du triticale riche en énergie, le taux d’inclusion s’élève à 50% pour le porcelet, la truie allaitante et le porc en croissance. Il ne peut dépasser 40% pour le porc en finition et la truie gestante, pour laisser de la place à des céréales riches en cellulose.
5. La mouture
La granulométrie est un facteur de variation de la valeur alimentaire. Une granulométrie fine a tendance à améliorer la digestibilité des aliments, avec des répercussions favorables sur l’indice de consommation. En revanche, une mouture trop fine peut entraîner une augmentation de la fréquence et de la gravité des ulcères, ainsi qu’une plus forte constipation des truies.
A l’opposé, une mouture grossière ou hétérogène ne facilite pas l'obtention de mélanges homogènes et peut entraîner un démélange en cours de transfert. C’est donc un compromis qu’il faut trouver entre ces différents avantages et inconvénients.
Pour analyser la qualité granulométrique des rations alimentaires pour porcin, une méthode a été mise au point avec tamiseuse vibreuse comprenant 10 tamis. Les résultats sont présentés sous forme d’un histogramme (axe vertical : pourcentage cumulé du poids retenu dans les différents tamis – axe horizontal : taille des différents tamis utilisés), permettant de voir l’importance des différentes fractions granulométriques de l’échantillon.
Pour une taille moyenne conseillée de 0.5 mm pour les porcins, il est recommandé d’avoir :
50% maximum de particules inférieures à 0.5 mm ;
45% des particules comprises entre 0.5 et 1.6 mm ;
5% maximum de particules supérieures à 2 mm.
6. Méthodes d'analyse de la qualité de la ration
Il est impératif d’optimaliser l’usage des aliments par une connaissance complète de leurs qualités nutritionnelles. Différentes méthodes existent pour analyser leur valeur alimentaire :
6.1. Les méthodes de référence standardisées
Ces méthodes permettent d’analyser :
Matières azotées totales : il s’agit d’une des premières contraintes de formulation. Cette analyse peut également être mise à profit pour calculer la teneur en différents acides aminés.
Matières grasses : essentiellement analysées pour les oléagineux ou oléo-protéagineux ;
Hydrates de carbone de réserve (sucres solubles et amidon) : avec les matières grasses, leur dosage permet de calculer la teneur énergétique des aliments ;
Hydrates de carbone de structure : leur dosage intervient dans le calcul de la valeur énergétique d’un aliment.
6.2. Les techniques rapides d’analyse
Les méthodes spectroscopiques telles que la spectrométrie dans le proche infrarouge (SPIR) sont largement utilisées pour déterminer la composition de la matière organique. Le principe de la méthode repose sur l’absorption, par les différents constituants organiques majeurs des fourrages (eau, matière protéique totale, sucres, amidon et fibres), d’énergie transmise par un faisceau lumineux dont les longueurs d’onde sont comprises entre 780 et 2500 nm. La SPIR ne permet pas un dosage direct des constituants, il s’agit d’une méthode indirecte qui requiert un étalonnage par rapport aux méthodes de référence
7. Formulation des aliments au départ de matières premières
Les aliments pour porc sont composés de différentes matières premières dont le taux d’incorporation dans l’aliment dépend de plusieurs paramètres :
la teneur en nutriments des matières premières,
les limites d’incorporation en regard du stade de production pour lequel l’aliment est destiné,
les caractéristiques nutritionnelles souhaitables des aliments pour couvrir les besoins nutritionnels des animaux que l’on souhaite nourrir,
- le prix des matières premières.
Différents outils existent pour accompagner les éleveurs de porcs désirant fabriquer leur aliment à la ferme. Certains sont payants (Porfal), d’autres sont mis gratuitement à leur disposition (Evapig). C’est le cas de l’outil de formulation créé au CRA-W, se présentant sous la forme d’une application Excel : AlimPorc.